LA NUIT COMME UNE EPOUSE
Par Emmanuel Muheim
Ed. P.J. Oswald
LA SAINT JEAN D'ETE
Par Robert Davezies
Ed. De Minuit
Ces deux premiers recueils, de ton, de styles très différents, donnent de la poésie deux images traditionnellement complémentaires : proches de la chanson populaire, les poèmes de Robert Davezies résonnent plutôt comme l'épopée naïve de notre temps, alors que les textes de La nuit comme une épouse seraient un chant secret de l'âme.
Le recueil d'Emmanuel Muheim se lit comme un cheminement. Partant du secret tu, lentement dévoilé, de la beauté géométrique, linéaire et finie des éléments bruissants et muets, il conduit au silence fécond de la germination.
Qui parle? Derrière les infinitifs impératifs - pomme pour une recette - ou les infinitifs optatifs de prière, le poète se cache, laisse parler les mots pour lui, médium de ce qui se dit dans son univers verbal : mots simples et pulpeux, à la saveur valérienne comme le plaisir du fruit qui fond dans la bouche; silence au cœur, telle l'amande au noyau, l'homme palpite mystérieusement au sein d'un univers minéral.
Emmanuel Muheim orchestre cet univers en une symphonie de formes colorées, abstraites et froides, dont la coda se résout en un cri muet, extase de l'amour
ou de la naissance, nocturne jaillissement. Le lecteur, à son tour, progresse d'un espace minéral et vide, jusqu'à l'espace intérieur, clos comme un noyau, chaud comme une vulve, habitable et fécond, libération verbalisée de l'autre.
Car il s'agit bien de délivrer, briser cet espace par l'envol d'un oiseau, le brûler
par le feu, l'apprivoiser dans un baiser, enfin dire je, ordonner le discours,
habiter l'espace, aimer l'amour.
Et coule l'eau, lustrale, non plus mer implacable. Face à l'éternité, son flux
instaure le temps, le devenir, la parole.
Au centre de ces deux recueils, l'homme rassemble une vérité poétique multiforme : marionnette désossée qui par son sens épique brise le cours de l'histoire et réinvente l'économie du salut chez Robert Davezies; pour Emmanuel Muheim, étranger dont la sensualité délicate et forte cherche une place dans un abîme
de lumière entre mer et montagne.
Marie-Gabrielle Guérard
revue "Esprit", février 1978 |