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À Sénanque, au centre de la nuit, quand la densité et, je dirai, la clarté du silence ont atteint leur plénitude, dans ces moments où, saint Bernard l'enseignait à ses frères, les moines cisterciens, il semble que la prière monte plus droit vers Dieu, puisque, entre le carré du cloître et les constellations qui le surplombent, entre cet autre carré, à la croisée du transept, et la coupole, symbole de l'illimité des perfections célestes, tout s'est résorbé de ce qui peut à d'autres heures distraire, divertir, faire obstacle à l'effusion du cour, Emmanuel Muheim, guetteur obstiné, écoute.
Il attend, patient, que l'accord s'établisse enfin entre les mots du poème.

Lisant ces pages, le souvenir m'envahit des déambulations nocturnes parmi les bâtiments conventuels, de ces marches aussi, à travers les collines, où je l'ai si souvent suivi. Il me conduisait vers cet arbre qu'il aime. Nous parlions peu. Les nappes de brouillard se dissipaient au-dessus de la plaine, tandis que, dans l'évaporation de la rosée, s'élevaient très purs tous les parfums de la terre.
Dès qu' Emmanuel Muheim s'est installé à Sénanque, il m 'associa étroitement à l'effort qu'il poursuivait pour que ce lieu admirable continuât de s'offrir à la création, à la méditation, sans que rien ne déviât du propos de ces hommes qui l'ont fondé il y a plus de huit siècles.

Il me plaît que, dans le libre jaillissement de la mémoire poétique, clair témoignage soit ici porté de sa fidélité, de sa discrétion, de sa ferveur.

Georges DUBY
Préface, Écrits de Sénanque

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